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24 février 2010 3 24 /02 /février /2010 09:40

(Coup de théâtre : l'émission dont il est question plus bas n'a pas été diffusée "en raison d'un problème technique")

 

Il y a quelques semaines, dans un forum du journal Médiapart, je proposais, ironiquement, que lors d'un débat scientifique le public puisse voter pour décider quelle serait la vérité retenue... (voir ici pour le résumé)
Le sujet portait sur le changement climatique et il était question des apparitions fort médiatisées de Vincent Courtillot, dont certains affirmaient qu'il devait avoir "raison" puisqu'il "parle bien" et qu'il est "politiquement et scientifiquement incorrect". L'argumentaire développé n'allait pas au-delà de cette vide assertion, montrant que les autres protagonistes n'entendaient pas plus au sujet traité. J'avais alors proposé une explication scientifique du phénomène et fait la remarque sur le risque potentiel à admettre que la forme puisse être plus importante que le fond ou que certains raccourcis sont discutables, dans le style "Macintosh a été créé par des génies dans un garage. Je bricole dans mon garage, je suis donc un génie".

Et bien ces craintes deviennent aujourd'hui réalité. Guillaume Durand propose une émission, sur le même sujet extrêmement médiatique. Les invités de son "Objet du scandale" seront D. Cohn-Bendit et C. Allègre. Outre le fait que je ne suis pas sûr que ces deux là soient les plus à même de débattre du thème scientifique, la promotion de l'émission sur la télé publique est édifiante (entendu sur France2).

"…En direct, les téléspectateurs voteront pour décider lequel a raison…". Voilà c'est fait !

On ne jugera pas la théorie scientifique à son contenu mais bien à la popularité des orateurs. Le plus agressif, le plus expansif, le plus volubile, le plus incorrect remportera sans doute le match. C'est encore une fois une mise en scène spectaculaire d'un sujet rendu polémique essentiellement par des médias très affairés à faire du bruit. Et quand on sait que G. Bonaldi sera lui aussi sur le plateau, on peu imaginer la profondeur des discussions. Et encore, L. Cabrol (célèbre présentateur de météo) ne sera pas présent au côté de C. Allègre, et c'est tant mieux. Il n'empêche que cela devient franchement agaçant que ces gens continuent d'être invités dans des émissions populaires, pour défendre des idées (ce ne sont même pas des thérories) qui ont été discréditées depuis plusieurs années.

Et alors ? Cela peut paraître ridicule, mais une fois de plus, on prétend intéresser le peuple aux débats de société avec des débats qui n'en sont pas toujours, mettant en scène (c'est bien le terme) des protagonistes médiatiques mais pas forcément pertinents et en impliquant les citoyens de bien surprenante manière. 

Débattons certes, mais ne faisons pas croire aux gens qu'il suffit d'appuyer sur un bouton pour choisir une "vérité" scientifique.


Cependant, à bien y réfléchir, le même constat est possible en ce qui concerne par exemple l'économie ou la politique. Le processus électoral vise à placer aux commandes des personnes qui défendent des idées, une ligne de conduite. Il n'y a pas a priori de vérité absolue dans ce domaine pas plus qu'en science. L'alternance suggère même que les différentes tendances sont équivalentes, autant capable ou incapable de mener un peuple vers l'essor. Pourtant, il est régulièrement demandé au citoyen de choisir entre divers groupes politiques. Or, son intérêt pour la chose politique peut ne pas lui permettre d'émettre un avis construit. Et s'il fallait argumenter son choix au moment du vote, l'abstention serait probablement proche de 99%. Pour autant, on ne remet pas en cause, bien heureusement, le droit de vote. Et pour forcer encore un peu plus le trait, les grands débats télévisés sont des joutes verbales prisées des orateurs car ils permettent d'asseoir une domination. Le débat Mitterrand-Chirac du 24 avril 1988 montre en cela la supériorité intellectuelle, du moins la maîtrise de l'arme médiatique du Président face à son Premier ministre. Les spécialistes ont alors suggéré que l'élection fut gagnée ce soir-là par Mitterrand devant la mauvaise prestation de Chirac. Car, à l'heure du choix, le citoyen est bien obligé de s'en remettre à une méthode pour que la balance penche d'un côté ou de l'autre. Et on ne peut rien reprocher à celui qui prétendrait avoir fait son choix parce que "untel ne lui revient pas". Pas très rigoureux certes, mais recevable… il suffit de voir comment se comportent les américains au moment des élections pour comprendre que la scène médiatique est un véritable théâtre de marionnettes. 

Cela appelle une première remarque. Si l'Homme peut choisir ses modèles de société, il ne peut pas intervenir sur la mécanique de l'Univers. De fait, le choix a quelque chose de subjectif et d'incertain en ce qui concerne la civilisation humaine, alors que la science est essentiellement descriptive, plus encline à l'objectivité du jugement (bien que la quête de financements puisse parfois tordre l'objectivité de certains). L'échelle de temps d'évolution d'une civilisation a aussi pour conséquence de rendre toute vérité sociale instable, caduque, donc difficile à inscrire dans l'objectivité du temps. La différence entre les deux tient moins à la façon d'aborder les sujets qu'aux sujets eux-mêmes. Ainsi, les pratiques scientifique et politique répondraient à des impératifs différents, incompatibles, aboutissant à des modes de traitement distincts. 

Voilà peut-être justement un second élément. En science, il y a des règles de conduite particulières. On ne doit pas faire un choix personnel motivé par une conviction, un sentiment, mais sur la base d'un processus de vérification d'hypothèses et d'argumentation factuelle. La science n'a pas d'autre vocation que celle de décrire un système palpable, mesurable, observable. Les résultats des uns doivent être reproductibles par d'autres. Le champ d'application de la politique et de l'économie est en revanche clairement disjoint de cette approche, même si l'art de l'argumentation en est un élément principal.

Mais en quoi ces règles de conduite sont-elles préférables à l'évocation d'un sentiment ? En procédant de telle manière, n'est-on pas en train d'attester du fait que la discipline scientifique construit des cloisons pour exclure le citoyen ? 

Dans la démarche de R. Descartes (Discours de la méthode), le cheminement de l'esprit seul peut permettre de comprendre le monde est de remonter aux principes physiques. A l'extrême, le philosophe pensait que l'expérience n'est pas nécessaire, ne craignant pas le désaccord parfois très marqué entre la "déduction" et l'expérience. En cela, les Lumières ont beaucoup apporté par comparaison au cartésianisme.

On peut finalement proposer deux constats qui opposent sinon éloignent la politique et la science. Tout d'abord que la description et la compréhension du monde nécessitent un outillage expérimental plus important que pour le traitement de problématiques liées à nos modes de vie. Enfin, et c'en est un corollaire, que le bagage intellectuel seul ne suffit pas à rendre intelligible le milieu dans lequel nous baignons. Il faut donc accepter que si chacun peut s'approprier la connaissance scientifique, cela doit se faire en parallèle de l'acquisition du langage et du code scientifique. La tendance actuelle à vouloir créer du "buzz" scientifique donne une image totalement déformée de la science qu'on essaie de faire passer dans le moule médiatique à grand coups de polémiques et de raccourcis dangereux, mêlant le sensationnel et la certitude. Il me semble enfin que les scientifiques doivent être plus présents que jamais sur la scène médiatique pour faire face aux tentatives parfois peu honnêtes des usurpateurs qui n'hésitent pas à occuper la place. Etre visible non pas pour entrer dans ce jeu de vilains, mais bien pour le dénoncer et redonner au débat scientifique sa place dans l'agora citoyenne.

 

A quand le référendum sur la question de la Terre ronde ou sur sa position au centre de l'Univers ?

Mieux encore, on pourrait lancer une grande enquête mondiale pour savoir si Dieu existe…

 

pour en savoir un peu plus sur l'idéologie de C. Allègre lisez ceci, c'est instructif

 

http://www.mediapart.fr/journal/france/220210/claude-allegre-en-poujade-du-climat

http://www.liberation.fr/sciences/010196550-l-academie-des-sciences-s-echauffe-sur-le-climat

http://www.mediapart.fr/journal/france/170509/notre-enquete-au-fait-claude-allegre-est-il-un-si-brillant-chercheur

http://www.realclimate.org/index.php/archives/2007/11/les-chevaliers-de-lordre-de-la-terre-plate-part-i-allgre-and-courtillot/langswitch_lang/fr/

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